Avery Gordon, Matières spectrales. Sociologie des fantômes, Paris, Éditions B42, 2024, 256 pages. Traduit de l’anglais.
Dans ce livre unique et fascinant, Avery F. Gordon examine l’expérience sociologique de la « hantise » en s’appuyant sur des références aussi bien littéraires que politiques. La hantise désigne un système qui altère l’expérience d’un vécu linéaire et déforme la façon dont nous séquençons habituellement le passé, le présent et le futur. En prenant pour terrain les romans de Toni Morrison ou Luisa Valenzuela et en les confrontant à des sources plus traditionnelles de la sociologie (articles de presse, comptes rendus judiciaires, rapports d’enquêtes), Matières spectrales démontre que les structures sociales héritées du passé influencent plus la vie présente que ne le présument la plupart des chercheur·ses en sciences humaines.
Afin de montrer comment les fantômes hantent le présent, l’autrice passe au crible une partie de l’histoire de la psychanalyse, avant d’examiner des épisodes de l’histoire tels que l’esclavage aux États-Unis ou les disparitions massives pendant la dictature militaire en Argentine, où des lois interdisaient à la population de parler des disparu·es.
Profondément interdisciplinaire et véritablement innovant par son approche, Matières spectrales est écrit avec une puissance à la hauteur de son sujet, et offre une vision nouvelle des intersections complexes de la race, du genre et de la classe.