Dans Soigner les institutions, Joana Masó revisite la pensée du psychiatre anti-autoritaire catalan François Tosquelles en publiant des archives pour la plupart restée confidentielle jusqu’alors. Où il est question d’expérimentations collectives et révolutionnaires.

Entretien co-réalisé avec Charlie Bay, et publié dans le numéro 9 de la revue Panthère Première (mars 2024).

« Tableau paroi » (quadre de la paret) écrit et dessiné par François Tosquelles dans les années 1970 à l’Institut Pere Mata (droits réservés).

Publié chez L’Arachnéen en 2021, le livre Soigner les institutions retrace le parcours géographique et intellectuel du psychiatre François Tosquelles, exilé catalan arrivé en France en 1939 après la victoire franquiste. Dans un premier temps interné dans le camp de Septfonds, dans le Tarn-et-Garonne, ce dernier rejoint l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban, en Lozère, en janvier 1940, à la demande de son directeur. S’y initie une immense réforme de la psychiatrie qui prendra le nom, quelques années plus tard, de psychothérapie institutionnelle. Partant du principe que la folie est un « phénomène humain » et que l’enfermement rend malade, les expériences menées par Tosquelles s’intéressent à l’institution et à son organisation plutôt qu’à l’individu, luttent contre l’immobilisme et l’établi en favorisant le mouvement des corps et de la pensée, et brouillent la séparation entre le normal et le pathologique. S’il est souvent invoqué comme une figure mythique du courant de la psychothérapie institutionnelle, que sait-on vraiment de la trajectoire de ce psychiatre, de ses engagements, des influences qui l’ont nourri ? Peu de choses, alors que l’originalité de sa pensée – impertinente, révolutionnaire et pragmatique – résonne bien au-delà de la psychiatrie encore aujourd’hui.  

Construit comme une « anthologie de fragments », cet ouvrage coordonné et présenté par la chercheuse catalane Joana Masó dresse une histoire de la pratique de Tosquelles en veillant à l’inscrire dans les multiples contextes et collectifs – politiques, médicaux, artistiques – qu’elle a traversé. Car l’histoire de Tosquelles ne se résume pas à celle de Saint-Alban, et l’histoire de la psychothérapie institutionnelle à quelques noms masculins.